
L’accueil des apprentis se complique pour les artisans Carole Batard (à g.), qui tient avec son mari une boulangerie rue Albert-Mahieu à Cherbourg, aux côtés de son apprentie Nolween, 19 ans. (©La Presse de la Manche)
C’est un décret qui fait grincer des dents certains artisans. La loi encadrant l’apprentissage en France a été modifiée en fin d’année 2018, et les conséquences commencent à se faire sentir chez certains artisans manchois. En cause, la situation des conjoints-collaborateurs, qui n’ont plus l’autorisation de former des apprentis.
Quand cette décision lui a été notifiée, Carole Batard a d’abord cru à une erreur.
J’ai appelé la Chambre de métiers pour savoir si c’était bien vrai. J’ai une apprentie en vente dont le contrat se termine en août. Et à présent, on m’indique que malgré mes 18 années d’expérience, je ne pourrais plus former, alors qu’un salarié avec un an de métier le pourrait. Je ne comprends pas la logique de cette décision.
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Fleuristes, bouchers, boulangers…
Avec son mari, elle gère une boulangerie rue Albert-Mahieu à Cherbourg. Le couple emploie deux salariés, mais aussi jusqu’à cinq apprentis, selon les périodes, en vente et en fabrication. La seule solution lui permettant de former à nouveau serait de devenir salariée de l’entreprise.
Mais le calcul n’est pas si simple : cela coûte avec les charges qui s’ajoutent. Nous sommes en pleine réflexion pour savoir ce que nous allons faire.
À La Haye-du-Puits, Christine Gibon, elle aussi collaboratrice, est dans un état d’esprit similaire. « En 28 ans, on en a formé des apprentis… Et plusieurs d’entre eux ont monté leur propre affaire ensuite. Moi, j’ai une salariée, mais beaucoup ne sont que deux. Les apprentis nous apportent un précieux coup de main, ça va faire du mal aux artisans. »
D’après les estimations des différentes instances, une soixantaine de boulangeries sont concernées par ce décret dans la Manche.
Mais il n’y a pas que les boulangeries, tous les métiers de bouche, comme la boucherie, la pâtisserie, la chocolaterie…, peuvent être concernés, analyse Jean-Denis Meslin, président de la Chambre de métiers de la Manche. C’est moins vrai dans le bâtiment. Mais ça n’empêche que l’impact est réel.
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Une lettre écrite à la ministre du Travail
À Valognes, le couple Osmont a repris il y a deux ans une boucherie dans le centre-ville. Il a reçu peu d’informations sur ce sujet, mais est également concerné.
Recevoir un apprenti, c’est un engagement fort des deux parties, résume Romain Osmont. Si je devais salarier ma femme, on ne prendra plus d’apprenti, on ne pourra plus !
À la Chambre de métiers, cela fait plusieurs mois que l’on se mobilise sur ce sujet. « J’ai immédiatement alerté les instances nationales sur ce sujet et écrit à la ministre du Travail, prévient Jean-Denis Meslin. L’apprentissage reste la meilleure voie pour apprendre les métiers de bouche. Cette décision pourrait nuire aux jeunes, qui auront plus de mal à trouver une entreprise, mais aussi aux professionnels, pour qui l’impact financier et humain sera important. »
À force d’alerter, les représentants des professionnels espèrent obtenir une issue favorable :
On n’a vraiment pas compris cette décision, qui relève du non-sens pour les petites structures, résume Fabrice Suzanne, président de la Maison des boulangers, à Coutances. Les demandes d’apprentissage pour la prochaine rentrée sont en cours, il faut agir vite. Mais j’ai bon espoir que l’on nous écoute…
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