
Jusqu’au 5 mars à La Clef, Michaël Bunel expose soixante-quinze photos dans le cadre d’Exil, voyage poignant au cœur des flux de populations poussées hors de leurs frontières. (©Thomas Richardson/ Le Courrier des Yvelines)
Êtes-vous originaire de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines) ?
Je suis né à l’hôpital de Saint-Germain-en-Laye mais mes parents habitent à Vaux-sur-Seine où j’ai grandi. Par contre, je suis allé au collège (Debussy) et au lycée (Léonard-de-Vinci puis Jean-Baptiste-Poquelin) à Saint-Germain-en-Laye. Mes parents travaillent à Saint-Germain, mon père tint la cordonnerie place du Marché et ma mère travaille dans une agence immobilière. Je reviens une ou deux fois par mois.
Comment est né votre goût pour la photographie ?
Pour ses 18 ans, une amie avait reçu un appareil photo et j’avais demandé à en avoir un également. Je trouvais que c’était un bon condensé pour répondre aux envies que j’avais en tête. J’étais curieux de la marche du monde. J’ai intégré l’école MJM à Paris en contrat de qualification et j’ai obtenu mon CAP de photographie en deux ans.

Une femme, portant son enfant dans les bras, marche sur la route reliant Hegyeshalom en Hongrie à Nickelsdorf en Autriche. 26 septembre 2015. Hegyeshalom. Hongrie. (©Michaël Bunel)
En quoi vos années passées à Saint-Germain-en-Laye vous servent-elles dans votre métier ?
Ma soif d’histoire et mon goût pour la littérature viennent de mes professeurs de collège et de lycée à Saint-Germain.
Le déclic pour faire du photojournalisme date de 2012. Que s’est-il passé ?
J’étais en Asie et j’ai appris la mort d’un collègue, Rémi Ochlik à Homs en février 2012. C’était un jeune de mon âge. On aurait même dû être dans la même classe. Quand il est décédé, je me suis rappelé pourquoi j’avais voulu faire ce métier. À Paris, j’ai couvert des manifestations, monté des sujets et j’ai pu intégrer une première agence. Avant 2013, je faisais déjà des reportages photo, notamment sur le thème de la religion, un sujet que j’ai du mal à comprendre et sur lequel je travaille beaucoup.
Après l’Asie vous êtes parti au Moyen-Orient, je crois.
Mon premier gros sujet, c’est quand j’ai voulu parti à Alep en Syrie et que je me suis retrouvé coincé à la frontière turco-syrienne. C’est là que j’ai touché au sujet des migrants pour la première fois. Plus tard, j’ai couvert les émeutes en Turquie, j’étais à Istanbul à l’époque. Je suis parti en Ukraine au début de la guerre avec la Russie. L’an dernier, je suis allé à Gaza pour couvrir la Marche du retour qui a fait tant de morts. J’étais le seul photographe freelance à avoir été autorisé à Gaza à ce moment-là.
À La Clef, on peut voir que vous avez suivi des migrants de Syrie jusqu’à Paris…
J’ai traversé l’Europe. J’ai également passé un an à Calais avec les migrants. Je dormais sous la tente et je mangeais avec eux. Au bout de trois mois, j’ai été identifié par une partie de la presse française comme quelqu’un qui était là de façon conséquente. Lorsque je suis parti à Gaza, j’avais envoyé des mails à tous les médias et quand je suis arrivé sur place, beaucoup m’ont contacté pour travailler avec moi.

Plusieurs migrants attendent de monter dans le bus affrété par le gouvernement Serbe, pour les réfugiés de moins de 18 ans. ceux ci vont être emmenés vers l’un des nouveau camp officiel. Une cinquantaine de jeune en bénéficieront aujourd’hui. 16 janvier 2017. Belgrade. Serbie. (©Michaël Bunel)
Vous avez donc voyagé à vos frais. Combien cela vous coûte-t-il de partir en reportage à Gaza ?
2 400 € pour deux semaines. Ce qui coûte le plus cher, c’est le traducteur fixeur, indispensable si on veut travailler sur place. Après, on vivait à trois dans un appartement sur place. Je dis souvent que c’est un métier solitaire et solidaire. C’est le plus beau métier du monde !
Pourquoi le choix de photographier en noir et blanc ?
C’est en Ukraine que j’ai commencé à passer au noir et blanc. C’était une façon de sortir de l’info pure et de raconter une actualité d’une façon différente. Je trouve que la couleur peut être un filtre qui empêche de voir le message. Parfois, l’image en couleur est trop belle. En noir et blanc, je me dis qu’on peut davantage mettre de côté la technique et plus jouer sur l’émotion. Par exemple, en couleurs, on ne peut pas se permettre des gros flous. Ça passe mieux en noir et blanc.
Avec quel matériel travaillez-vous aujourd’hui ?
J’ai un Fuji X Pro 2 équipé d’un (équivalent) 28 mm qui est superléger et discret. De temps en temps je demande une optique à un collègue pour faire deux ou trois images.
Faute de place dans les centres d'hébergement et faute de volonté politique forte, les #migrants étaient impuissants face à la neige qui tombait sur la capitale.
📸 Un photoreportage de @michaelbunel pour @libe : https://t.co/VyEYTt7OvE pic.twitter.com/TI710CIt8i
— CCFD-Terre Solidaire (@ccfd_tsolidaire) February 12, 2018
Vous travaillez donc au plus près de vos sujets…
Oui, je fais en sorte d’être dans le cercle de l’action pour que les spectateurs qui voient l’image aient l’impression d’être dans la scène. Dans les campements de migrants, j’ai passé des heures avec eux. Le plus souvent c’est la clope qui permet de briser la glace. J’ai toujours l’appareil photo autour du cou pour annoncer que je fais de la photo. Il n’y a pas vraiment de barrière de la langue. Beaucoup parlent anglais et j’utilise aussi Google translate. En tant que journaliste, on joue le rôle de décharge émotionnelle. Ils ont tous des raisons horribles de fuir leur pays et ils se livrent à nous plutôt qu’au migrant voisin qui est dans la même situation qu’eux.
Qu’est-ce qui vous pousse à faire ces reportages ?
Alerter pour que ça change, je n’y crois plus trop. Le but c’est avant tout qu’il y ait des vraies traces. Je suis sidéré par l’argent investi dans des non-solutions et dans le tout répressif. Il n’y a pas d’envie d’une vraie politique globale d’intégration. Patrick Chauvel disait à juste titre : « On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas. »
Comment est venue l’idée d’exposer à La Clef ?
C’est une amie de mon frère qui a fait son service civique à La Clef qui m’a contacté pour me dire qu’il y avait une salle d’exposition là-bas. J’ai présenté mon projet il y a huit mois environ et il a été validé. C’est la première fois qu’on voit toutes ces 75 photos ensemble. Celles sur Calais sont inédites. Cela représente cinq ans de travail.
Y a-t-il des photos dans l’expo qui se sont révélées sur le tard ?
Oui, je pense notamment à une photo prise en Serbie : c’est un homme recroquevillé sous une couverture en arc de cercle qui occupe une grande partie du cadre. Je ne l’avais pas envoyé à Libé à l’époque. En la voyant en plus grand, j’ai découvert les yeux et le visage du jeune homme. Je l’ai intégrée dans l’expo à La Clef.
Vous préparez un livre je crois ?
Oui, c’est un livre qui reprendrait les trois chapitres de l’exposition Exil. La maquette est réalisée à 90 %. Je lancerai un appel à financement participatif pour proposer de la prévente qui permettra de financer l’impression du livre en autoédition, j’espère d’ici les vacances d’été.
Dans quel pays partirez-vous après ?
Je suis en train de voir pour repartir à Gaza à la fin de mars qui marquera un an après la Marche du retour. J’aimerais aussi partir au Sri Lanka pour les dix ans de la fin du conflit avec les Tamouls. Il y a deux ans, j’avais sorti un livre Croix dans le neuf trois, sur les catholiques en Seine-Saint-Denis. J’aimerais faire un deuxième volume cette fois sur les musulmans pour les montrer dans leur quotidien en Île-de-France.
Pratique : exposition Exil, par Michael Bunel, jusqu’au 5 mars à La Clef, 46, rue de Mareil, Saint-Germain-en-Laye. Entrée libre. Rens. : www.laclef.asso.fr ou www.michaelbunel.com